samedi 10 novembre 2007

Lettre des lycéens à Nicolas Sarkozy

Monsieur le Président de la République,

Nous, lycéens du lycée AUGUSTE PERDONNET de Thorigny-sur-Marne exprimons notre vive inquiétude, quant à la situation de notre camarade, Ibrahim ARPACI, expulsé aujourd’hui par le vol de 12h35 en direction d'Istanbul.

Bien qu‘Ibrahim ait déposé un recours, auprès de la Commission des Recours de l'OFPRA (office français des réfugiés et apatrides), comme le prouve un accusé de réception du 10 octobre 2007, nous savons qu’il a été entravé et embarqué, contre son gré, malgré la présence de 150 personnes à l’aéroport ce matin.

Le 22 octobre vous avez demandé aux enseignants de lire la lettre d’un jeune homme de 17 ans arrêté pour fait de résistance.

Nous vous demandons aujourd’hui de faire lire dans tous les établissements de Seine et Marne la lettre d’un jeune homme de 21 ans menacé par le gouvernement de son pays.

Cette lettre prouve à l’évidence son engagement et ce qu’il risque en Turquie

Nous vous demandons respectueusement de mettre toute votre célérité pour obtenir le retour d' Ibrahim en France afin qu’il puisse y continuer ses études, vivre en paix et en liberté dans le pays où il réside depuis 2005.

Lettre d’Ibrahim Arpaci demandant l’asile politique

Je me permets par la présente de vous présenter une demande de reconnaissance de ma qualité de refugié comme je l’explique ci-dessous, je risque de graves persécutions en Turquie du fait de mes origines Kurdes Alévies ainsi que de mes opinions et activités politiques. Je vous demande de bien vouloir enregistrer ma demande et de trouver ci-dessous mon récit biographique ainsi que l’exposé de mes motifs.

Je suis né le 30 août 1986, à Sunnet, village du district d’Elbistan dans le département de K.Maras au sein d’une famille kude Alévie.

Jusqu’en 1991, j’ai vécu au village. En été 1991 nous sommes allés rejoindre mon père à Iskenderun. Mon père y travaillait dans une usine de métallurgie. Il devenait de plus en plus difficile de rester au village. A cause de son soutien à la lutte nationale kurde Alévie, la population des villages d’Elbistan a été très durement touchée par la repression de l’armée Turque. Plusieurs villages ont été complètement détruits. Notre village comptait environ une cinquantaine de foyers, mais en 1993 il n’y restait plus personne.

C’est donc à Iskanderun que j’ai commencé mes études. J’ai été diplomé du lycée en 2004 puis étant recherché par les forces de l’ordre je n’ai pas pu poursuivre d’études supérieures. Les Kurdes Alévies de la région d’Elbistan ont massivement lutté dans les rangs des organisations illégales de gauche turque et dans ceux du mouvement national kurde.

Cet engagement intense contre l’Etat provient sans doute du fait qu’ils ont été depuis fort longtemps opprimés par les autorités et la population civile turque sunnite. Ethniquement et religieusement, ce sont deux communautés différentes. Les autorités ont attisé les différends entre ces deux communautés et activement soutenu les Turcs sunnites contre les kurdes Alévies. Ainsi, nous faisions l’objet d’une double repression ethnique et religieuse. Il suffit de donner l’exemple du massacre de K.Maras en 1978, tristement célèbre. Des centaines d’Alévies avaient été massacrés sauvagement par le Turcs sunnites encouragés et soutenus par les forces de l’ordre.

Pour les intégristes sunnites les Alévies sont des hérétiques. Selon eux tuer 7 Allévies ouvre la porte du paradis. Même à Iskenderun, j’ai été constamment témoin de cette intolérance vis à vis de notre communauté.

Pendant tout le mois du ramadan, nous vivions dans la crainte de persécutions car nous ne jeûnions pas. Les membres de ma famille et mes proches parents ont fait l’objet de graves persécutions du fait de leur opposition à l’état turc. Des dizaines de mes cousins ont été arrêtés à de multiples reprises, torturés. Beaucoup ont quitté la Turquie et vivent aujourd’hui comme des réfugiés dans les différents pays européens. Je voudrais donner quelques exemples. Mes cousins paternels Kemalettin, Ali Rahmi, Ismet ARPACI (tous les trois des frères), Abuzer , Garip, Sait, Huseyin, Mehmet, Hasan, Kazim sont des réfugiés en France. Ma souer aînée Zarife ARPACI est réfugiée en France depuis 1991. Le mari de ma tante paternelle Kudret GUNGOR est aussi réfugiée en France. Mes cousins paternels DOGAN, Cebrail et Tacettin ARPACI sont des réfugiés en Allemagne. Mon père et mon frère aîné ont été plusieurs fois placés en garde.

Le 21 décembre 1991, mon grand-père paternel, Ibrahim ARPACI, a été tué à Iskenderun certainement par les forces spéciales turques. Mon grand-père étai une personnalité très appréciée par les Kurdes Alévis d’Elbistan. Malgré toutes les menaces, il n’avait pas voulu quitter le village. Il apportait un soutien militaire et moral aux militants kurdes. C’est ce qui explique qu’il soit assassiné alors qu’il était venu nous rendre visite à Iskenderun. Ce qui est encore le plus révoltant, c’est que les autorités et la presse turque, guidées par la contre-guérilla, ont prétendu qu’il avait été assassiné par le PKK. La section du PKK dans la région d’Iskenderun a démenti catégoriquement cette accusation dans un communiqué de presse et a accusé les forces de l’ordre turques d’être à l’origine de ce meurtre. Les efforts de mon père pour retrouver les assassins ont toujours été réprimés par les forces de l’ordre. Nous avons reçu sans cesse des menaces pour abandonner nos recherches en vue de trouver les assassins. L’ assassinat de mon grand-père a été une expérience particulièrement douloureuse pour moi.

Mon frère Mustafa a fait l’objet de graves persécutions lors de son service national. Il a été condamné à plusieurs mois de prison. Les perquisitions incessantes à notre domicile pour arrêter des proches parents recherchés, ls persécutions et les injustices subies ne pouvaient que me pousser à lutter dans le mouvement national kurde.

Dès le collège, nous formions déjà un groupe qui s’intéressait à la question kurde. Certes, nous n’avions pas des activités politiques à proprement parler, mais nous avions la conscience d’être kurdes et alévis.

C’est à partir de 2002 que j’ai commencé à avoir des activités politiques. En octobre, alors que nous collions des affiches électorales de DEHAP, nous avons été arrêtés par la police et emmenés au commissariat de police. Nous étions quatre jeunes. Battus toute la nuit, nous avons été libérés que deux jours plus tard. La police m’a mis en garde de ne pas poursuivre ces activités sous peine d’avoir le même sort que mon grand-père. Ils m’ont posé des questions sur mon cousin Ismet ARPACI qui à l’époque était activement recherché pour son militantisme dans le PKK. Nous n’avions pas renoncé à retrouver les assassins de mon grand-père . Nous songions à porter l’affaire devant la cour européenne des droits de l’homme. Je pense que c’est à cause de tous ces efforts mais aussi à cause de son militantisme actif pour la cause kurde que mon frère Mustafa a été enlevé en février 2003 par les forces spéciales turques. Pendant trois jours, il a été affreusement torturé et menacé de mort. Nous vivions constamment dans la crainte de la persécution.

Le 21 mars 2003, je fus arrêté au cours d’une manifestation. Pendant trois jours, ils m’ont torturé pour me faire avouer mes liens avec le PKK en prétendant que je faisais partie du groupe scandant les slogans en faveur d’Abdullah Ocalan et du PKK. J’ai répondu que je n’avais fait que participer à un rassemblement autorisé, que c’est par hasard que je me trouvais entre le groupe en question et les forces de l’ordre. Bien sûr, le fait que ma famille et moi soyons connus de la police ne me facilitais pas la tâche. J’ai été détenu pendant trois jours. Traduit devant le procureur le 4e jour, j’ai été libéré faute de preuves. En me libérant, les policiers ont proféré toutes sortes de menaces. Informée par la police, la direction du lycée m’a renvoyé de l’école pour une durée de 15 jours. Des coups reçus lors de mon arrestation et des tortures subies au commissariat de police, je garde deux séquelles bien visibles à ma hanche droite et à mon genou gauche.

Malgré les menaces, j’ai poursuivi mes activités politiques au sein de DEHAP et au sein des associations Alévies.

Au début du mois d’août 2004, j’ai participé à une action d’affichage dans notre quartier pour réclamer une amnistie générale en Turquie. Nous nous sommes réunis le soir. Mais, j’ai constaté en dehors des affiches demandant la libération de tous les prisonniers politiques qu’il y en avait aussi demandant la libération du président du PKK. Nous étions au total 10 jeunes. On s’est répartis en deux groupes. Nous devions coller les affiches tard dans la nuit. Dans mon groupe, j’étais chargé de guetter. Si je constatais la présence d’une patrouille de police, je devais avertir les deux groupes. A une intersection j’ai vu une patrouille de police. Nous avons tous réussi à prendre la fuite. Par mesure de sécurit, je ne suis pas rentré chez moi. Le lendemain, j’ai appris que personne n’avait été arrêté. Mais deux jours plus tard j’ai appris que la police était en train d’effectuer une perquisition à notre domicile, que les policiers leur avaient posé des questions pour savoir où je me trouvais. Après la perquisition, mon père et mon frère avaient été emmenés au commissariat. Mon père était libéré le lendemain, mais mon frère Mustafa a été détenu trois jours.

Entre-temps, j’ai appris que le responsable du groupe à qui j’avais téléphoné pour l’avertir de la présence de la police avait été arrêté chez sa tente en possession des publications du PKK. La police n’avait pas tardé à savoir que c’était lui qui avait organisé l’action de l’affichage. En consultant son téléphone mobile, elle avait déterminé que c’était moi qui lui avait téléphoné la nuit de l’affichage. De ce fait, j’étais recherché par la police qui effectuait des perquisitions sans cesse chez mes parents et chez mes amis pour m’arrêter. Pour éviter une arrestation, je suis parti à Istanbul. Grâce à des amis avocats, j’ai appris qu’une procédure judiciaire était ouverte contre moi pour le délit de soutien aux membres d’une organisation illégale et qu’un mandat d’arrêt avait été lancé. Je n’avais pas d’autre choix que de quitter la Turquie. C’est ce que j’ai fait le 10 janvier 2005 dans un camion de marchandises. Je suis entré en France le 15 janvier 2005 mais je ne sais pas les pays que nous avons traversés.

Il est certain que je serais arrêté dès mon retour en Turquie. Accusé de soutenir les membres d’une organisation illégale, je serai soumis à d’intenses tortures. La police voudrait, en effet, avoir des informations sur les militants kurdes et enfin je risque d’être condamné à Trois ans et neuf mois d’emprisonnement.

Pour les motifs ci-dessus, je vous demande de bien vouloir donner une suite favorable à ma demande d’asile politique.

Ibrahim Ali Arpaci (janvier 2005)

Aucun commentaire: