samedi 10 novembre 2007

Retour sur l'expulsion d'Ibrahim

Tristesse et très vive inquiétude
On le sait, la préfecture de Seine-et-marne, comme les autres, doit "faire du chiffre" d'ici à la fin de l'année 2007 pour atteindre le quota d'expulsions de sans-papiers fixé par le ministère de l'intérieur. Malgré la mobilisation, plusieurs heures durant, de 200 personnes à l'aéroport de Roissy et en dépit des interventions d'élus socialistes (Vincent Eblé, président du conseil général de Seine-et-marne, Nicole Bricq, sénatrice) ou communiste (Michel Billout, sénateur) auprès de la préfecture, Ibrahim Arpaci en a fait les frais. Il a été embarqué vers Istanbul sur l'avion prévu à 12H35, parti avec une demie-heure de retard. Depuis lors, aucune nouvelle de lui n'est parvenue à sa famille, réfugiée politique en France depuis des années, ou à son avocate.
Les conditions de l'expulsion
Depuis plusieurs Jours, on savait par la CIMADE - la seule association de soutien aux sans-papiers présente en permanence au centre de rétention du Mesnil-Amelot- qu'une nouvelle tentative d'embarquement pouvait avoir lieu sans préavis, après que la mobilisation citoyenne organisée par le Réseau éducation sans frontières ait fait échouer celle du vendredi 2 novembre.
En fin de semaine dernière, on apprenait qu'Ibrahim devait être présenté au tribunal de Meaux lundi 12 novembre. Ce n'était vraisemblablement qu'un leurre destiné à brouiller les pistes et à empêcher une nouvelle mobilisation à l'aéroport avant cette date.
C'est donc par un SMS d'Ibrahim lui même que la famille, l'avocate puis le comité de soutien apprenait très tôt vendredi 9 novembre que les policiers venaient chercher Ibrahim pour le mettre dans l'avion. Les réseaux de solidarité s'organisaient aussitôt pour qu'un maximum de monde soit présent à l'aéroport.
Les 200 personnes sur place s'adressaient alors aux passagers -réceptifs- du vol de 10H05, avec succès dans un premier temps puisque qu'Ibrahim n'est pas parti sur ce vol alors qu'il avait déjà été amené sur place. On apprenait plus tard qu'un passager courageux avait été débarqué, menotté, parce qu'il n'avait pas voulu laisser faire. Il faudrait retrouver ce passager pour qu'il raconte.
Malheureusement le scénario ne s'est pas reproduit pour le vol de 12H35. Vers midi un dernier contact téléphonique en catastrophe entre Ibrahim et son oncle permettait de comprendre qu'il avait été attaché et privé de son portable.
Les coups de téléphone se sont alors multipliés à l'adresse du conseiller pour la Turquie de la présidence de la république. En vain.
Vers 13H30, une délégation des manifestants s'adresse à la police de l'aéroport et obtient les dernières nouvelles D'ibrahim...
On nous apprend qu'il a été "entravé pour sa sécurité" (on l'envoie vers la prison et la guerre mais surtout il ne faut pas qu'il tombe de la passerelle à Roissy) et que "tout s'est passé dignement". Aux questions plus précises que nous posons (a-t-il pu s'adresser à l'équipage? ) nous d'obtiendrons aucune réponse.
Mobilisation exemplaire, chaleureuse, responsable et sensible des lycéens du L.E.P. de Thorigny-sur-Marne:
Ils n'ont pas mangé de la journée, ou presque. Dès qu'ils ont appris qu'Ibrahim était en instance d'embarquement, ils ont rappliqué à l'aéroport de Roissy et se sont adressés avec leurs profs, pour certains avec leurs parents, avec les militants RESF, aux passagers du vol pour Istanbul. L'une d'elle a même, de sa jolie voix, improvisé une chanson qui raisonnait de façon émouvante face aux forces de l'ordre. Lorsqu'un passager imbécile leur a lancé, bien à l'abri d'un cordon de CRS, "les immigrés dehors", ils ont failli perdre leur sang-froid mais se sont rapidement repris, dans la dignité et en pensant très fort à Ibrahim.
Lorsque la triste nouvelle du départ d'Ibrahim a été connue, la fatigue et la tristesse se lisaient sur tous les visages. La tristesse mais aussi la détermination pour le faire revenir. Ils n'ont pas hésité à se retouver ensuite au cabinet de l'avocate de la famille pour rédiger un communiqué de presse en forme de lettre à Nicolas Sarkozy.
Ces enfants là, enfants français de mutiples origines, reflet de la richesse de la France d'aujourd'hui n'oublieront pas ce qu'ils ont vu et ce qui s'est passé ce vendredi.
D'un pilote à l'autre:
Dans la mythologie grecque antique, la traversée du fleuve des enfers était confiée à Charon, exécuteur de la décision des dieux. Il existe deux catégories de pilotes à Air-France. D'abord, ceux qui refusent d'embarquer les sans-papiers et de devenir ainsi les Charon des temps modernes. C'est ce qu'a fait le pilote du vol du 2 novembre, 10H05, qui a refusé d'embarquer Ibrahim Arpaci, lui accordant ainsi le sursis que lui refuse la justice française alors que son dossier de demande de réfugié politique est toujours en cours d'examen.
Mais hier, il s'est trouvé un pilote de deuxième catégorie sur le vol de 12h35 pour Istanbul.Un pilote qui a accepté la basse besogne, accepté d'emmener vers la prison et la guerre un étudiant de 21 ans, entravé, et dont on se demande, le connaissant, s'il n'était pas drogué afin de faciliter son embarquement. Souhaitons que les pilotes de la première catégorie fassent contagion. Sans quoi Air France pourrait bientôt mériter totalement l'appellation de "compagnie des expulsions" vers nos enfers modernes que sont les régimes autoritaires, les pays de misère et de persécutions.
Quelle police pour quel état ?
Quand on est petit et qu'on veut devenir policier, c'est souvent pour "arrêter les méchants" . Combien de temps la police de cet état acceptera t'elle de mobiliser son énergie et son temps pour la chasse aux enfants, aux jeunes, aux familles sans-papiers, les privant ainsi de tout avenir ? Sont-ils entrés dans la police pour cela ?
Combien de temps les contribuables accepteront-ils que leurs impôts servent à les rémunérer et à payer les billets d'avion des expulsés ?
(un vol pour la Turquie, c'est 1000 euros)
Et maintenant, que faire ?
La famille d'Ibrahim et son avocate vont continuer à se battre pour obtenir le retour du jeune homme. Ils trouveront à leurs côtés les lycéens, parents d'élèves, enseignants, les militants RESF, et bien d'autres, militants politiques, syndicaux, associatifs ...simples citoyens révoltés...
Les conditions de l'expulsion malgré la solidité de la demande du statut de réfugié politique sont telles que différents recours juridiques sont possibles, notamment auprès de la commission consultative des droits de l'homme.
Et surtout, la mobilisation citoyenne peut faire revenir Ibrahim, comme elle a fait revenir Suzylène, lycéenne expulsée vers le Cap Vert revenue après 6 mois d'exil l'année dernière.
Catherine Jouanneau

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